Qui croyait prendre.

A peine arrivée à mon bureau que mon téléphone sonne

...... Bonjour Alexandrine, comment allez-vous ?

....... Bonjour monsieur Brandon, très bien je vous remercie.

........ Madame Dabarino est en arrêt de travail, huit jours, voulez-vous quelqu'un pour la remplacer ?

……. Je vous dirais ça, si vraiment j'ai besoin. Je peux savoir ce qu’elle a ?

........ Un peu de fatigue

........ Ah, d'accord. La réunion c'est pour quand ?

........ Nous allons attendre son retour, avez-vous vu pour la restructuration ?

…… Oui j’ai fait une grande ébauche mais j’aimerai voir avec vous.

...... Maintenant si vous voulez

.... D’accord je descends

Je ne prends pas le temps de boire mon café, j'enfile mon manteau pour traverser la cour. Monsieur Brandon me reçoit avec un grand sourire, il me sert la main et attaque d'emblée.

...... Je pense que votre conversation avec madame Dabarino la laissé pantelante, de même que je suppose, qu'elle n'avait pas envie de vous revoir de sitôt.

Je souris ......... Mon mari lui a fait avouer qu’elle était bien l’instigatrice de l’envoi du courrier. A cause d’elle mon mari a mis 300 personnes à pied.

Il me regarde longuement ……. Qu’allez-vous faire ?

Je hausse les épaules …….. Ce sont les amis de mon mari, il fera ce qu’il veut, moi je ne veux plus avoir à faire avec elle.

D’un mouvement de tête, il me fait savoir qu’il comprend ma détermination.

Tout en posant deux tasses sur son bureau, il me tend plusieurs feuillets.  

……. J’ai bien étudié vos suggestions, elles tiennent la route. J’ai vérifié les extraits légaux que vous avez joints. Il ne devrait pas y avoir de souci du côté de la haute direction. Par contre chambouler tout un service en quatre pôles, hum comment voyez-vous ça ?

Je repose ma tasse, sans répondre, j’attends la suite. Pour ma part j’ai bien travaillé mon dossier, et j’ai tous les arguments en tête.

……. Rien de compliqué une responsable par pôle secondée par une cheffe de groupe et ça devrait rouler

…… Quelles seraient leurs attributions aux responsables ?

…….. Driver les cheffes de groupe et les secondes, évaluer les litiges entre filles avant de nous les soumettre, vérifier les dossiers épineux, travail de qualité pour la compta, donc gain de temps. Entente et harmonie au sein des groupes. En un mot faire ce que je faisais, sans les pointages  

…….. Vous savez comme moi Alexandrine qu'il est difficile de gérer quelques filles, imaginez une douzaine qui se ligue contre la responsable !

..... Je veillerai monsieur Brandon, c'est mon rôle, et si ça ne va pas, je vous sais suffisamment autoritaire quand il le faut

Il rit de bon cœur. ............ Madame Gaussien de la Maleverne, vous me flattez ! Serait-ce pour arriver à vos fins ?

Je ris aussi ....... Monsieur Brandon comment pouvez-vous penser ça ?

Il avale son café et me sourit ………. Trouvez-moi quatre responsables de pôles et quatre adjointes capables de mener à bien une équipe de quinze filles !

….. Pourquoi deux responsables d’étage ? Les responsables de pôles suffisent. Monsieur Brandon trop de responsables tuent les responsables.

Il me regarde profondément à tel point que je rougis.
……. Bien, alors trouvez-moi les responsables de pôles

.... Là tout de suite ?

…… Oui, je dois monter le résultat de la réunion à la direction au plus tard demain début d’après-midi. La réunion se profile pour la semaine prochaine.

Il ouvre son ordinateur, clique sur quelques dossiers à l’aide du curseur de la souris et met en route l’imprimante.
Il me tend plusieurs feuillets. C’est l’état des employées.

Nous réfléchissons ensemble. Je prends l'organigramme, monsieur Brandon regarde son écran, nous rattachons le standard au secrétariat en dix minutes nous torchons ce service, n'ayant pas grand-chose à changer. Nous ne touchons pas à la comptabilité, c’est un service qui roule tout seul, géré par un responsable à poigne. 

D’un commun accord, nous décidons de chambouler l’ensemble du service de comptes gestion, pour prouver que les affectations changent pour tout le monde, sans parti pris. Comme dit le directeur, ça évitera les grincements de dents.

Dans son pot à crayons je prends un stylo et relis la liste, il me demande pour les bureaux du premier.

…. Monsieur Brandon, je propose qu’un étage s’occupe essentiellement des CA, un pôle Paris, un pôle province, et l’autre étage les CC

….. Oui et donc ? Comment comptez-vous répartir les équipes ?

…… Partons du rez de chaussée. …… Hélène Puissegine responsable d’un pôle, tout devra être signer par elle, avant d’aller à la compta générale, en cas d’erreur c’est elle qui sera responsable. De plus à elle de s’occuper des congés, je pense qu’on peut leur laisser, j’aurai bien assez de travail. Je me réserve les pointages, et je refuse que le secrétariat s’occupe des rectifications, ça s’est terminé. A la rigueur la responsable vérifie les pointages, mais en aucun cas elle ne pourra faire de rectification, pas de privilège pour les copines.

…… Bien et les têtes de file ?

…… Avec on mettrait heu ……

Je fais celle qui réfléchit un tout petit peu pour ne pas lui montrer que j’ai déjà ma petite idée.

…… Heu en fait on laisserait en responsable de pôle Hélène avec en seconde Moutier Jeannine, et pour l’autre pôle Patricia Garnier et en seconde Josiane Doucet.

Monsieur Brandon semble réfléchir et opine de la tête ……….. Et pour le premier ?

…… Evelyne Maillard, vous savez qu’elle est capable et qu’elle saura en douceur se faire entendre.

………  Et les responsables de pôle ?

…….. Avec Evelyne on pourrait mettre Magali Dubois ou Audrey Darmont et Cécilia pour l’autre pôle avec Florence Lombard. Sinon en secrétaire vous me mettez ou Cécilia ou Audrey

Monsieur Brandon éclate de rire .......... Alexandrine, je lis en vous, comme dans un livre ouvert.

A mon tour je ris.

..... Alexandrine, Cécilia est trop proche de vous, je vous connais, vous ne voudrez pas la bousculer, je ne peux accéder à cette demande.

Déçue je murmure ......... Alors mettez-moi Audrey, elle est mignonne, courageuse et discrète !

..... Elle est bien jeune pour accéder à cette place.

Je le taquine ........Monsieur Brandon, à vous de choisir, Cécilia ou Audrey, sinon je vous rends mon siège !

Nous rions, je lui donne à la suite les filles qui constitueraient ce service.

….. Hum, bien, bien, bien et qui fera quoi ?

….. Bah ça après elles se débrouillent entre elles, une équipe les CC Paris, et l’autre les CC province.

J’ai en réponse un grand éclat de rire, je regarde mon directeur, interdite de sa réaction.

……. Alexandrine, soyez sérieuse !

…… Sérieuse en quoi ?

……. Trémont est trop jeune dans la société, Lemoine pas certain qu’elle soit à la hauteur !

…… Monsieur Brandon, je connais les filles que je vous ai cité, Lombard, Dubois, Lemoine, n’oubliez pas que j’ai bossé avec elles de nombreuses années, et je les sais à la hauteur, elles ont droit à de la reconnaissance, quant à Cécilia elle sera à la hauteur aussi. Lalonde est en retraite dans même pas un mois, elle forme Cécilia

Devant son scepticisme, j’insiste, je les sais compétentes, elles sont discrètes et bosseuses.  Je m’obstine, pour que Cécilia passe responsable d'un groupe, je promets de lui apprendre les rudiments, je la sais capable, elle est tenace, je fais remarquer à mon supérieur, qu'en une semaine j'ai réussi à lui apprendre le travail, alors qu'elle n'y connaissait rien, étant nourrice de mon fils. Qu'il faut lui donner sa chance.

Après quelques protestations, auxquelles j’apporte des arguments qui tiennent la route, il finit par céder.

Il me regarde longuement ………. Et que faites-vous de madame Dabarino ?

…… Vous la mettez ou vous voulez sauf avec Evelyne, elle connait Cécilia et je ne veux pas qu’elle lui pourrisse la vie

….. Elle redescend donc en simple facturière alors qu’elle vous secondait Alexandrine !

….. Elle me secondait ? Je suis partie en congé maternité en laissant des dossiers en cours, je les ai retrouvés six mois après sur le meuble sans n’avoir jamais été ouvert, et vous me dites qu’elle me secondait ? C’est une plaisanterie ?

Un sourire en coin le directeur me fait comprendre qu’il a vu mon jeu ………. Donc vous l’éliminez ?

…… Monsieur Brandon, son sort m’importe peu, vous la mettez ou vous voulez, en compta même. Bah oui tiens, ça c’est une idée, elle y sera très bien

  …….. Alexandrine, vous voulez me pourrir ma journée ou quoi ?

 Nous rions, je sais que j’ai gagné, et que j’aurai Audrey comme secrétaire, Cécilia comme cheffe de pôle quand à la traite, son sort ne m’intéresse pas, ne m’intéresse plus.

Nous ramassons les papiers épars, je fais un rouleau des miens, tout en jetant ma dernière carte

….. Je vais faire monter Audrey rapidement, comme ça je la mets au courant et lundi elle est prête pour être ma secrétaire

Il éclate de rire pour la énième fois ........ Alexandrine, je vous déteste de me mettre devant des faits accomplis !

Je ris ......... Monsieur Brandon je vous adore, d'accéder à mes demandes.

..…  Bien je vais soumettre tout ça à la direction, je vous tiens au courant !

La matinée est passée à faire des restructurations et des plans sur la comète, avec des fous rires.

.... Il est l'heure d'aller manger mon petit. Je ne peux vous inviter, j'ai rendez-vous ce midi, retrouvons-nous à quatorze heures

...... Ici ? Ou vous montez me voir et nous boirons un café ?

.... Allez, je vous rendrais visite, ça nous changera.

Je souris, monte chercher mon sac, range les feuilles et l'organigramme dans un tiroir de mon bureau que je ferme à clé. D'ailleurs je mets tout sous clés maintenant par prudence. Chat échaudé comme on dit, craint l'eau froide.

Je vais me chercher un sandwich et une cannette, je passe au bureau de tabac, et remonte au chaud dans mon bureau.

Je mange mon sandwich en laissant mon esprit vagabonder, j’essaie d’oublier un peu cette réunion qui me prend toute mon énergie.
Je pense avec délice à la soirée d’hier, à mon mari qui m’a fait l’amour comme un Dieu. 

Je bois mon soda tout en faisant un tableau récapitulatif et recopie les notes de ce matin. Je décale quelques filles entre les responsables de bureau, sachant qu'untelle et untelle ne s'entendent pas spécialement.

Chez Evelyne je ne mets que des filles souples de caractère et bosseuse. Je laisse Dabarino sur la touche, avec une forte envie de la mettre en compta. Je sais ce service prenant et pas vraiment intéressant pour qui n’aime pas les colonnes de chiffres. Je sais aussi que le responsable est boulot-boulot, les filles s’en plaignent, et souvent monsieur Brandon lui demande de lever le pied, et je sais aussi que l’ambiance n’est pas top. Fini les mots croisés, terminé les crises de fou rire

A quinze heures, monsieur Brandon me téléphone, savoir s’il peut monter, je ris en l’autorisant à me rendre visite.

Je lui offre un café et pousse les papiers vers lui. Il lit consciencieusement, un silence pesant s’abat dans la pièce. Mon pouls s’emballe. Ne va-t-il pas penser que ce fauteuil me monte à la tête ?

Pendant plus de deux heures, nous nous penchons sur mes tableaux, mes notes, mes idées. Il me pose des questions subtiles auxquelles je réponds sans réfléchir, j'ai préparé mes arguments.
Nous en débattons. Je lui fais remarquer que le service vérification que j'avais, n'a jamais eu de défaut de pointage, et que ce n'est pas normal que les autres services se permettent d'avoir des feuilles pleines de rectification.

….. Monsieur Brandon, je ressens ça comme du vol. Ils, elles doivent des journées entières à la société ce n'est pas normal et pas juste pour les employés honnêtes qui rattrapent leurs retards soit en quittant plus tard, soit en venant plus tôt. 

Il se range sans difficulté à mon avis. Nous étudions les autres points de vue, j'explique chaque fois ma vision des choses. Monsieur Brandon fini par me dire en souriant

………. Ça me parait parfait ! Vos raisonnements sont très bons Alexandrine, mais je voulais voir si vous aviez les arguments, pour pouvoir les avancer à la direction

Nous buvons un café, il a ramassé en une pile bien nette, toutes mes fiches

...... Félicitations Alexandrine, cette réunion est au point.

.... Merci monsieur Brandon.

..... N'oubliez pas que vous allez vous mettre du monde à dos.

Je ris. ..... Aucune importance, vous ne m'avez pas mise à ce poste pour que je fasse un travail à la Gaudin

Il éclate de rire .......... Alexandrine, vous êtes loin de lui ressembler.

Nous discutons du moment où mon père m'a présenté, de mon chemin dans cette société, de mes stages et la reprise de mes études. Des moments d'abattements et de son aide précieuse à me rebooster. Il aborde gentiment ma dépression. Sans lui dire l'acte inqualifiable de Jocelyn, je lui retrace les grandes lignes, ma descente aux enfers, ma volonté de vouloir remonter. Et fatalement il me parle de cette dernière déchirure.

Je sens mes yeux piquer, je respire un grand coup et au travers des larmes que je sens venir, j’essaie de sourire

…… Mon mari dit toujours de tourner la page et de ne pas s’embarrasser de mauvais souvenirs, ils ne font que miner et nous détruire. J’ai trouvé la vie que j’aurai toujours dû avoir auprès de lui. C’est un homme merveilleux, et je l’aime plus que tout.

Monsieur Brandon prend ma main froide, dans la sienne chaude, et me tapote le dessus très paternellement

….. Continuez votre route auprès de monsieur, et ne laissez jamais personne vous séparer.

Je fais oui de la tête, la gorge nouée ……. C’est sûr monsieur Brandon, je peux vous le garantir.

Il se lève ...... La réunion, lundi quatorze heures, je pense que l'horaire est parfait !  

..... D'accord, je fais comment demain matin avec Dabarino

..... Vous ne faites rien, vous la recevez comme d'habitude, vous savez le changement de pôle, vous n'en savez pas davantage !

Je lui souris, lui serre la main ........... Merci monsieur Brandon

..... Je pense que vous avez assez de soucis avec cette famille, inutile d'en rajouter.

Je fais oui de la tête, sans vraiment comprendre le sens de ses paroles.

Je remercie mon directeur et le laisse sortir. Je range le dessus de ma table de travail, mets tous mes papiers sous clés et rentre.

Dans le RER, je pense à demain. Comment va-t-elle se comporter ? Allez demain est un autre jour.

Jocelyn est dans son bureau, la porte ouverte. Je me déchausse et range mon manteau. Je passe par la chambre de mon fils que je prends et vais dire bonsoir à son papa.

Ce matin je m’arrange pour arriver de bonne heure, en tout cas avant Marie. Je ferme tout de suite la porte de communication, et balance sur mon poste tous les appels, même si je dois être déranger pour pas grand-chose. Aujourd’hui qu’elle profite jusqu’à la réunion, elle sera au repos total. Qu’elle fasse ce qu’elle veut, ça ne m’intéresse pas.

Ce midi monsieur Brandon me téléphone et m’invite à manger.

Nous commandons nos plats. Nous mangeons en parlant de tout de rien, mais pas du travail. Il me demande des nouvelles de mon fils. C’est avec la fierté d’une maman que je lui réponds. Je lui avoue avoir retrouvé un mari amoureux, grâce aux deux jours, ou nous sommes partis en séjour bien-être

Alors que nous finissons notre repas, et attendons nos cafés, monsieur Brandon m’étonne tout en me faisant sourire.

…. La direction a trouvé étonnant que vous vous sépariez de Dabarino

…. Ah ! Ils ont dit quoi ? Ils ne veulent pas ?

Il sourit. ….….. Ils ont fait remarquer que depuis une quinzaine d’années, vous faisiez un tandem, et qu’il serait regrettable de vous dédoubler.

Mon pouls s’emballe, je me sens pâlir. Alors je partirai, je ne resterai pas, je trouverai un autre taf.

La serveuse pose nos cafés, tout en dépiautant son sucre il me regarde droit dans les yeux et met fin à ma contrariété.

….. Alexandrine, ne m’en veuillez pas, je me suis permis de lâcher quelques bribes, pour faire comprendre à la direction, que vous ne pouviez plus travailler en binôme avec Dabarino. J’ai même avancé que vous seriez capable de démissionner

La bouche ouverte, je l’écoute, j’avale ses paroles, laissant mon pouls cogner, ma respiration haletante

…… Ai-je eu raison Alexandrine ?

….. Heu oui, ils ont dit quoi ?

….. Préférant éviter les débordements, à moi de placer Dabarino loin de vous.

Je hoche la tête et bois mon café d’un trait, en reposant ma tasse je murmure un ……. Merci monsieur Brandon.

…… Allez faites-moi un sourire.

Je finis par sourire, soulagée.  

Ce week-end est calme. Le froid dehors n’incite pas vraiment à la balade. Joss reste avec moi au salon. Sans vraiment regarder la télévision, nous échangeons tranquillement. Il me pose des questions sur mon nouveau post. Je réponds avec enthousiasme, semblant de rien je lui dis attendre encore un peu pour pouvoir demander un 4/5. Je lui demande s’il préfère que je prenne mon vendredi ou mon lundi.

Son bras autour de mes épaules se resserre. ………. Essaie d’avoir tes lundis, si nous voulons partir.

J’acquiesce d’un mouvement de tête, à mon tour je lui pose des questions à savoir s’il a refait ses équipes.

…… Oui j’ai bien avancé, dans le sens ou malheureusement personne n’est responsable je vais reprendre 90% du personnel. Les autres sont si proches de la retraite, ou arrivé il y a trop peu de temps.

Notre tête à tête est léger, fluide. Pas d’agacement, pas de mot plus haut que l’autre. Blottie dans ses bras, j’entends son cœur battre à l’unisson du mien.

Ces deux jours ont été faits d’amour, d’échanges et de bonheur. Je reprends espoir dans notre couple, dans notre futur. Dans ma vie.